Mary Bogey

Mary Bogey, née à Glasgow d’un père producteur de Whisky et d’une mère députée au parlement britannique, a longtemps été grand reporter au Daily News tout en arpentant les fairways des cinq continents. Golfeuse inimitable, elle fut l’une des rares joueuses à battre L Davies. Aujourd’hui, elle écrit des romans policiers. Son éthique littéraire s’exprime dans ce postulat : « Les mensonges disent souvent la vérité et le roman est toujours une illusion ».

Mauvais grip

Non il n’y a ni faute d’orthographe ni virus, tout juste une mauvaise position de la main sur le club mais surtout une énigme et une enquête policière sur le green. Le capitaine Alphonse Dupond (Alph) a perdu la main depuis que son ex, Maryline a donné la sienne à Erwan, le meilleur ami d’Alph.

Alors, dès que Maryline apparaît, convoquée par le commissaire Otis, l’émotion pousse Alph à disparaître.

Son trouble ne l’empêchera pas de percer le mystère du bunker du 10…

L'extrait

— Vous êtes certain qu'elle a vraiment quelque chose d'intéressant à dire ?  l'interrogea le Boss.

     Otis, c'était un énorme cerveau dans une grosse tête fichée dans une boule de gras. Et encore plus misogyne que le capitaine, le patron.  Il n’y avait que des hommes aux postes clé dans son service et lorsqu'il croisait quelque fliquette venue d'une autre division – les deux nanas de la scientifique par exemple — il ne manquait jamais une occasion de lâcher une petite vacherie. 

Il avait failli s’étrangler en apprenant la nomination d’une femme à la tête de la Police Judiciaire parisienne.

— Elle a été la première femme commissaire de police, tout de même, avait osé Alph ce jour-là, tentant de prouver au passage qu’aucune info ne lui échappait.

— Mais quand même, au 36. C'est la porte ouverte à toutes les catastrophes, avait rétorqué le Boss pour clore définitivement le débat.

 

     Alph avait malgré tout fait mine de défendre Maryline en répondant à Otis qu'elle avait toujours été très observatrice. Car il fallait ce qu'il fallait pour le convaincre de l'entendre.

     Elle allait se régaler. Il n'allait pas la rater le Boss si elle se permettait l’ombre d’une extravagance. Mais peut-être la ménagerait-il pour obtenir dans un temps record — Otis notait toujours très exactement combien de temps il lui avait fallu pour parvenir à ses fins, — un renseignement ou un aveu.

Il avait semblait-il gobé sans sourciller l'excuse inventée par le capitaine et ce dernier s'en félicita. Il exigeait de la voir de suite cette bonne femme. Maintenant. Aujourd’hui. À l’instant.

— Voilà, patron, son numéro de fixe est inscrit là-dessus. Le capitaine avait joint le geste à la parole. Tendu le Post it. 

— Gardez ça et vous me l’appelez, Alph. Et que ça saute. 

     Alph n'avait pas senti le coup venir et eut l'impression que le sol s'enfonçait sous ses semelles alors qu'il passait le seuil du bureau d'Otis. Il était fait comme un rat, cuit, maudit… ne voyait pas comment il pouvait se tirer de ce mauvais pas... sauf si…

     Allez Alph, tu savais si bien faire cela quand tu étais à l’école de police, se dit-il au moment de se laisser couler. Tu faisais rire toute ta promotion. Robert, le planton, t'avait même dit que si tu ne devenais pas flic tu pourrais faire comique à la télévision. Comique ou imitateur. Un truc dans le genre.

     Il se redressa. Empocha le papier.

     Alors c’est dit, cas de force majeure, j’emploie les grands moyens, décida-t-il en pénétrant dans son bureau. Après tout il avait  gagné la première manche puisqu’Otis avait accepté d’auditionner personnellement la furie des fairways.

     Il composa le numéro de son ex.

     Ça lui fit  tout drôle tout de même d'entendre la voix de Maryline. Elle n’avait pas changé. Ne se démontait pas. Prétendit que sa voiture était au garage et que si l’on voulait qu’elle se déplace maintenant jusqu’à Lorient il fallait que l’on vienne la chercher.

     Elle avait toujours rêvé de faire un tour dans une voiture de flics avec gyrophare et quatre tons, Alph le savait mais elle se garda bien de le dire.

Il était sûr qu'elle mentait. Juste pour enquiquiner le monde.

— Je vais  vous envoyer un véhicule, Madame, poursuivit-il aimablement avec un accent qui fleurait bon le Pastis. On aurait juré du Pagnol sauf que ce n’était pas la femme du boulanger, Maryline, mais son ex et qu'il avait pour l'instant réussi à éviter  l’affrontement verbal en utilisant ce stratagème.

— Alors j’attends le véhicule et assurez-vous que la banquette arrière est propre, lui asséna-t-elle en ex compagne de flic qui savait tout de l'état de propreté d'un véhicule de la police nationale possiblement dédié au transport des clients vers une cellule de dégrisement.

Jambes en coton. Mains tremblotantes. Estomac serré. Quelle peau de vache cette Maryline. Mais ça avait marché. Cœur qui bat.

     Si au moins il avait pu glisser quelques questions au patron afin de savoir… mais il s’en moquait, le patron, de savoir si Maryline était seule ce jour-là ou avec son Apollon et si elle avait ou non réservé deux billets pour Caracas pour leur voyage de noces. Il se concentrerait sur ce qu’elle avait vu. Vite. Pour battre son record.

     Deux minutes trente pour faire avouer un très gros casse, c’était ça, son dernier score. Comme si le criminel avait attendu avec impatience de pouvoir se confesser. Mais avec Maryline, il faudrait qu’il prenne des gants, le Boss, s’il voulait jouer le chrono.

Elle était prête à déposer.

Approche concluante.

Il la remercia et raccrocha. Paumes moites. Feu aux joues.

Il ne restait plus qu’à trouver le Bleu pour qu’il la prenne en charge sans citer son nom évidemment.

     Lieutenant Agostini, s’était-il présenté pour brouiller les pistes, en empruntant à un inconnu ce nom qui allait bien avec son subtil accent temporaire. Il avait simplement dit au Bleu en le sommant d'enfiler sa veste qu’il s’agissait d’un témoin de poids et que le patron voulait l’entendre personnellement. Il allait donc faire fissa.

     Pendant ce temps il errerait tel le marin échoué sur une île perdue tant que Super Otis ne l'aurait pas convoqué pour lui relater par le menu ce que Maryline lui aurait confié en un temps record.

     Incapable de se concentrer sur autre chose que cette audition qui avait commencé dans le bureau du Boss il y avait à peine quatre minutes, Alph griffonnait sur son bloc-notes.

     Il avait fermé la porte de son antre et baissé les stores qui l’isolaient du couloir que Maryline venait d'emprunter.

     Il l’avait vue. Très rapidement, certes, mais il l'avait aperçue entre deux lattes cassées et cette seule vision avait fait cogner son cœur à grands coups contre ses côtes.

     Elle portait un tailleur rouge, moulant. Il n'avait vu ni ses chaussures ni son sac à main mais il aurait parié qu’ils étaient assortis au tailleur. Des talons hauts. Le clic clic clic clic… sur le dallage du couloir l'en avait persuadé.

     Il regarda la pendule.

     Trente-cinq minutes. Elle devait en avoir des choses à dire. Bien sûr, Otis avait dû faire taper la déposition, la lui faire relire et signer, mais trente-cinq minutes, tout de même.

     Quarante minutes. La porte du Boss s'ouvrit et il l'entendit crier d’un ton furibard :

— Allez me chercher le capitaine Dupond. Je le veux dans mon bureau. Tout de suite.

 

     La capitaine Alph Dupond n’avait jamais essayé auparavant de glisser son grand corps dans l’espèce de placard à balais qui lui servait d’armoire et dans lequel étaient suspendus ses vêtements de sport ainsi que sa tenue d’uniforme de cérémonie. Son sixième sens l'avait propulsé de son fauteuil jusque dans l’angle opposé de la pièce et il s'était introduit à la vitesse de l’éclair dans sa garde-robe.

     Et maintenant il tentait de ne pas bouger, de ne plus respirer, d’oublier l’épaulette gauche de son habit de cérémonie qui lui accrochait la paupière droite ainsi que le porte manteau métallique qui imprimait un triangle glacé dans la chair de sa joue.

     Le Boss était là, haletant, dans son bureau. Il ruminait, maugréait, insultait, blasphémait, jurait comme un charretier. Où Dupond était-il allé ? Personne dans cette taule n’était donc capable de savoir ce qui s’y passait ? Comment se faisait-il qu'il ait ainsi disparu de la circulation alors que son arme de service se trouvait sur son bureau à côté de son trousseau de clés de voitures.

     Alph pensa à ses chaussures. Sous son bureau. Il avait la fâcheuse manie de les ôter  pour se délasser les pieds dès qu'il prenait place dans son fauteuil et n'avait pas eu le temps de les rechausser.

     le Boss décida enfin de quitter les lieux, non sans avoir raflé au passage l'arme de service, un Sig Sauer flambant neuf, qu’il faudrait qu'Alph aille récupérer dans son antre s’il se résolvait, après un flot de récriminations, à le lui restituer.